Londres

J’avais envoyé ma photo pour que la famille chez qui j’allais rester me reconnaisse. J’arrive à Heathrow et deux hippies me montrent ma photo. Comme je ne comprends absolument rien, je n’ai qu’à monter dans la voiture (une coccinelle). Ils m’emmènent chez eux et l’appartement est très sale, avec des merdes de perroquet partout. Puis, la femme vient et m’explique qu’ils vont écouter du jazz. Je réponds que je suis fatiguée et que je préfère m’installer. Ma chambre est petite, je défais ma valise et me couche. Je me réveille le lendemain matin et j’entends un enfant qui pleure. Je le découvre dans une pièce, il pue la pisse à cent mètres. Je veux le laver mais je me rends compte que je ne sais pas lire ce qui est écrit sur les bouteilles. Alors, je me débrouille avec de l’eau seulement. Étant seule, je vais frapper chez la voisine, qui essaie de m’expliquer que la femme a un magasin dans la rue. Je n’ose pas m’aventurer dehors. Puis, un homme que je n’ai jamais vu sort d’une autre pièce. Pas moyen de communiquer. Enfin, la femme revient. Je lui explique que j’ai déjà refait ma valise et que je veux rentrer en France parce que cette situation ne correspond vraiment pas à ce que j’attendais. Comme je n’ai pas de billet de retour, et encore moins d’argent, elle me conseille de me faire rapatrier par mon ambassade à l’aéroport. Elle me donne ce qu’il faut pour aller en taxi à Heathrow. Le chauffeur est un homme jeune, de couleur. Je pleure à chaudes larmes à l’arrière. Papa avait bien dit que je ne ferais pas long feu! Voyant mon total désarroi, le chauffeur de taxi propose de m’emmener dans une agence de placement pour les filles au pair, ce que j’accepte. La directrice me reçoit sur le champ et me trouve un emploi le jour même. Le chauffeur de taxi me laisse son numéro de téléphone. Je ne l’ai jamais appelé, pourtant, c’est lui qui a changé le cours de ma vie. La famille habitait à Goldersgreen. La femme était britannique, le mari russe. Ils avaient un fils de 7 ans qui passait son temps à se masturber à la fenêtre, et un autre de 14 ans qui trouvait très marrant de me réveiller au milieu de la nuit et de me chatouiller. Il avait une forte tendance à  me tripoter et je n’aimais vraiment pas ça. Je passais beaucoup d’heures à faire le ménage et à garder le petit bâtard, mais j’allais très régulièrement à mes cours d’anglais. Je gagnais 4 livres sterling par semaine. Avec ça, je payais l’école et je sortais. J’allais à l’International students house. Il y avait toujours un tas d’activités intéressantes. J’y ai très vite rencontré Nicole, une autre Française. J’étais la plus jeune et j’étais la darling de tous. La première fois que je suis allée danser, je suis tombée sur un Italien qui trouvait très agréable d’être littéralement collé à moi. Quant à moi, j’adorais que tout le monde me trouve si charmante. J’avais deux amis. Paul, un Jamaïcain, qui avait étudié la théologie. Combien de fois, il m’a prise dans ses bras en me disant combien il résistait pour ne pas me faire l’amour. Et moi, je trouvais ça vraiment agréable. Tommy, lui, était Japonais, aussi bien plus âgé que moi (au moins 23-24 ans!). Il était artiste (il m’a fait un dessin à l’encre de Chine) et très sérieux. Lui aussi était comme un grand frère. Je ne suis restée que 4 mois dans la première famille. Un jour, le fils m’a chatouillée plus précisément que d’habitude et ça m’a vraiment énervée. La sœur de Nicole m’a hébergée pendant deux jours avant que je trouve une autre famille. Là, c’était un gentleman farmer et une vieille Juive allemande. Leurs enfants étaient adultes et on vivait dans un appartement luxueux avec le chien Simon. Je ne faisais que le ménage mais ça n’arrêtait jamais. Elle me faisait laver la cuisine à l’ajax avec une brosse. Le temps qu’il fallait pour rincer la poudre… Elle vérifiait que j’époussetais les plinthes tous les jours! Le mari m’aimait beaucoup et me gâtait tout le temps. La femme était mesquine. Quand ils avaient des invités, je servais le monde avec ma robe bleu marine et mon tablier blanc, et je n’avais droit qu’à des œufs durs quand ils mangeaient du caviar. Un jour, je me suis pris les pieds dans le tapis et tout a valsé par terre! Une autre fois, je n’ai pas déplacé l’horloge dont le verre était soufflé à la bouche et elle s’est brisée quand j’ai bougé le guéridon de marbre. La vieille était complètement hystérique et menaçait de me battre. Elle voulait que je bosse pour elle pendant des décennies pour lui rembourser sa putain d’horloge. C’est son mari qui l’a empêchée de me frapper. Elle avait des tonnes de chocolats fins qu’elle planquait au fond de son placard. Je ne pourrais pas dire combien je lui en ai piqué. Je n’avais officiellement pas le droit de téléphoner, j’y passais des heures et je prétendais que j’avais mal raccroché. Je ne payais jamais le métro. Quand je me faisais contrôler, je prétendais que je ne parlais pas anglais. Je sortais beaucoup et tout me passionnait. La vieille m’a appris à gérer le peu d’argent que j’avais. Le premier hiver, j’ai réussi à m’acheter un manteau et des bottes en cuir. J’étais particulièrement fière. Quand je suis rentrée en France à Noël, j’ai ramené un cadeau à mes parents et à chacun de mes frères et sœurs. J’allais au concert au Royal Albert hall et j’ai vu un ballet avec Nouryev et Margot Fontaine. J’allais au théâtre, au ciné, au musée, à la piscine, danser et j’apprenais surtout l’anglais. J’étais très amoureuse de Maqbul, un Pakistanais, mais lui couchait avec les femmes, et ça, je n’y étais pas prête. Il savait très bien ce que je ressentais pour lui. Une fois, j’étais dans sa chambre, il s’est soudainement déshabillé et me voilà devant un homme en érection pour la première fois de ma vie. Je suis littéralement terrorisée et je ne veux absolument pas qu’il me touche. Il s’assoit à la fenêtre en attendant que je reprenne mon calme. Pendant tout mon séjour à Londres, un an et demi, j’ai découvert le monde des adultes, tout en restant vierge. J’étais la chouchoute de bien des hommes mais j’avais mes deux anges gardiens. Un soir, je suis allée à un party avec Tommy, où j’ai dansé et me suis amusée. Quand il a décidé que nous partions, je me suis insurgée mais j’ai obéi. J’ai bien remarqué qu’il y avait du va-et-vient dans l’appartement, mais rien de plus. J’avais pour principe de ne jamais boire que ce que je m’étais moi-même versé. Le lendemain, j’ai appris que toutes les filles avaient été droguées et violées. Cette leçon est toujours restée gravée.

En juin 1970, j’ai passé (et réussi) le Cambridge Proficiency of English. Le lendemain, je suis rentrée en France.

 

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2 réponses à Londres

  1. Anne-Pascale dit :

    Je ne connaissais pas tous ces détails, de ce premier séjour à l’étranger et c’était vraiment courageux. Ca m’a rappelé rapidement mon premier séjour en Espagne à Getafe, dans la banlieue ouvrière de Mardrid. Quinze jours seulement mais qui m’ont imprégnée de cette insécurité que je ressens aujourd’hui durement quand je ne maîtrise pas la langue… Mon dernier voyage à Venise a tous les marqueurs de cette insécurité indomptée.
    Je me souviens du cadeau que tu m’avais ramené : un livre de coloriage, je crois. Je dois avoir une photo. En tout cas, qu’est-ce que j’étais contente !!

  2. mariejo dit :

    Alors, raconte toi aussi. C’est bon de se dire parfois et de savoir qu’on est écoutée…

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