AVOIR ET ETRE

Elles sont quatre. Pardon, les garçons, ne vous sentez pas exclus de la fratrie pour autant ! mais elles sont quatre, les sœurs Gonny : unies, désunies, elles vivent, tant bien que mal cette étrange géométrie : quatre sœurs. Nées des mêmes père et mère, si différentes les unes des autres mais si semblables dans leur humanité. Elles portent un lourd baluchon de silence, d’enfermement et de paralysie : chacune à sa façon, elles rompent le silence ; avec obstination, elles usent les barreaux de leur cage, il n’y a pas de doute, un jour, la cage explosera. C’est presque déjà fait pour les 2 aînées, c’est en cours pour les 2 plus jeunes. Les 4 sœurs ont appris et apprendront encore pour sentir le goût fabuleux de la liberté d’être.

Laissez-moi vous raconter l’histoire des deux aînées d’abord. Marie-Jo fête aujourd’hui ses 62 ans et elle est fraîche, physiquement, comme si elle en avait 50. Comme le vin, sans doute, nous nous bonifions en vieillissant ; c’est d’ailleurs valable pour l’ensemble de la fratrie : ils sont BEAUX, jeunes, intelligents et modestes…

Elle, c’est une fabuleuse combattante pour la vie. Constante, exigeante et opiniâtre, elle s’est battue pendant longtemps pour être respectée et faire valoir ses droits. Elle a aussi assumé ses devoirs, ceux envers ses enfants mais aussi ceux envers sa famille plus élargie, ses amis et la société qui l’a accueillie dans son exil. Elle et moi, (deuxième sœur) avons été brouillées pendant 11 ans. C’est dire si nous sommes constantes, chacune, dans nos inimitiés ! Incompréhension, silence, rupture totale de communication. Elle m’écrivait et m’assénait des jugements ignobles. Je lui répondais sur le même mode. Puis je ne répondais plus. Peu à peu, le ton a évolué et elle a continué à m’écrire, insistant pour ne pas perdre le contact totalement et mon silence lui fut renvoyé pendant bien des années ; même lorsqu’elle est venue, lors du décès de Maman, nous n’avons pas su communiquer. Elle a fait des efforts dans ce sens-là mais j’étais encore sourde.

Pendant ces 11 années-là et aussi quelques années avant, nous avons toutes deux eu à vivre de douloureuses épreuves : elle et son mari se sont séparés, elle a dû faire face pour élever ses 3 enfants, travaillant comme une forcenée pour leur payer, entre autres, les études qui l’avaient sauvée, elle. Elle a tourbillonné avec le vent qui l’emportait jusqu’à ce que l’œil du cyclone la rejette brusquement sur le bord plus calme de la vie : les enfants devenus plus ou moins autonomes, quittant le nid, elle a pris conscience de son extrême solitude et de la négligence dont elle avait été victime. Personne pour partager son intimité, son amour, son amitié, sa compassion. De tout cela, elle avait oublié qu’elle en avait à revendre !

Un jour pas comme les autres, elle a vu, sur internet, un homme qui racontait une histoire : celle des accords toltèques. Et ça a fait un tel écho en elle qu’elle m’a envoyé le lien vers la vidéo. Je traversais moi aussi des années sombres et grises, abandonnée et désespérée, enfermée dans un silence épais. Et cette histoire m’a sauvée. Oui, le mot n’est pas trop fort : cette philosophie simple et facile à mettre en œuvre au premier abord m’a sauvé la vie. Nous avons recommencé à nous parler, elle et moi, par mail puisqu’elle habite à l’autre bout du monde. Et cette parole échangée et partagée nous a permis de nous reconstruire, nous sommes nées à nouveau dans le regard de notre sœur et nous nous sommes mises à cheminer ensemble. Partageant les histoires qui nous étaient arrivées pendant toutes ces années, nous avons peu à peu compris notre enfermement dans le silence et pardonné le mal que nous nous étions fait.

Aujourd’hui, nous bénissons les techniques modernes qui nous permettent de discuter et nous voir pendant des heures, le seul truc qui nous dérange étant le décalage horaire ! Nous partageons nos vies, nos joies et nos chagrins, nos inquiétudes et les petits bonheurs que nous reconnaissons au jour le jour.

Comprenant la chance que nous avions eue de renaître l’une pour l’autre, nous avons voulu partager ce lien privilégié avec nos autres sœurs et aussi avec nos frères et petit à petit, nous y arrivons : nous tissons ce lien qui brille discrètement entre nous tous, même si certains ne parviennent pas à le voir pour le moment. C’est notre bonheur à nous, certes pas si facile à construire, passant par des chemins bien tortueux, mais quand même du bonheur : celui d’avoir une sœur, d’être la sœur de quelqu’une et de savoir à quel point tout cela est précieux. Puissiez-vous, vous tous nos frères et sœurs, et plus particulièrement notre benjamine, entendre notre témoignage, vous approcher de ce fil brillant qui nous relie et ajouter votre brin à la torsade !

C’est chaud, c’est lumineux, c’est solide et ça ne disparaîtra pas, même lorsque nous rejoindrons la poussière de l’univers. C’est mon cadeau pour toi, Marie-Jo : heureuse et fière de t’avoir pour sœur et heureuse et fière d’être ta sœur.

Joyeux anniversaire, ma « vieille » !

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Une réponse à AVOIR ET ETRE

  1. mariejo dit :

    Ah, ces larmes qui me viennent désormais si facilement à l’oeil, je suis reconnaissante de pouvoir enfin les verser. Celles-ci ne sont pas amères. Merci Minelle pour cette formidable affection, c’est vrai qu’on en a à revendre et c’est seulement maintenant que notre entourage la voit et l’apprécie. Et plus on donne, plus on reçoit. J’en atteste. 62 ans (j’aime les chiffres pairs) et un namoureux! C’est tout simple le bonheur parfois.

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