Cé cé cé célimène… euh… c’est Minelle !

La famille m’appelle Minelle. Mes vrais prénoms c’est Marie Emmanuelle Solange. Quand Maman a disparu, j’ai supprimé Emmanuelle et Solange et n’ai plus décliné que le Marie : je trouve cela suffisant et moins pesant ; en fait, je déteste les prénoms composés. Bref, la contraction sous la forme Minelle est restée d’actualité mais uniquement pour les membres de ma famille. Personne, en dehors de ce cercle, ne m’appelle ainsi ni même ne connaît ce diminutif. C’est pratique quand je ne reconnais pas une personne au téléphone, je peux d’emblée la situer dedans ou en dehors de la famille.

Je suis née le 17 mars 1957, le 7 et le 3 sont mes chiffres fétiches et Seth mon personnage mythologique préféré : pourtant j’ai toujours voulu me tenir loin de l’orage et de la colère mais bon… Aujourd’hui, j’ai 54 ans, le bel âge des réalisations. Je m’y sens bien, heureuse et réjouie d’avoir eu cette chance de vivre jusqu’ici et de pouvoir former, encore, des projets. Des projets de vie, de voyages, de partage, des projets d’expression par l’écriture, la peinture, le dessin. Je me souviens comme j’aurais aimé recevoir des cours de dessin. C’est véritablement ce que je regrette le plus de n’avoir pas appris toute petite. J’aurais adoré remplir des carnets de voyage avec des dessins et des aquarelles, comme les grands artistes que sont Titouan Lamazou ou les Orientalistes et autres Impressionnistes. Oh oui, j’aurais adoré cela. Mais, je n’ai pas dit mon dernier mot !

Mes souvenirs les plus anciens sont divers et variés : déjà toute petite, je m’ennuyais. Maman me disait « gratte-toi les jambes, ça te fera des bas rouges… » quand je me plaignais de ne pas savoir quoi faire. Ou alors elle m’apprenait à broder des mouchoirs, ou à repasser le linge. Ah ben, ça c’était utile au moins ! Et puis, depuis toute petite, il m’a toujours manqué quelque chose : née 4 ans après Michel, et 5 ans avant Pascale, j’ai toujours été seule dans une fratrie surpeuplée ! Toujours trop petite pour les grands, toujours trop grande pour les deux dernières filles, jamais à ma place parce que jamais de place pour moi, réellement. Et puis, j’étais la chouchoutte des parents, petite dernière pendant 5 ans, j’ai eu plus de place sur les genoux de Maman. Quand la naissance de Pascale a été officielle, les « grands » se sont bien amusés parce que j’allais perdre mon statut de chouchoutte. Moi, je ne me souviens pas d’avoir ressenti cela, ni avant ni après. A vrai dire, je ne me souviens pas de la naissance de Pascale, à part que Maman est allée accoucher à la clinique, ce qu’elle n’avait pas fait pour les autres enfants. A cette époque, sur les genoux de Maman, suçant mon pouce, je riais en regardant la pub à la télé : il y avait une poule qui faisait une descente en slalom à bord… d’une cocotte-minute Seb. Presque 50 ans après, je m’en rappelle encore. Et la Vache Sérieuse, maintenant, elle rigole, la vache… Et moi, j’ai appris, après beaucoup d’années, à vivre en sachant que je n’aurais jamais cette complicité qui unissait mes frères et sœurs aînés mais que je pouvais, néanmoins, vivre, et vivre heureuse qui plus est ! Ce fut un apprentissage long et douloureux.

Quand j’étais petite, je voulais me marier avec mon frère François, l’aîné et mon parrain. C’est comme ça. Mais je n’ai jamais eu de jalousie envers les femmes qui ont traversé sa vie. Je me souviens comme je trouvais que Lydie était belle, la première fois qu’elle est venue passer un Noël à Candé. Je n’ai jamais trouvé incongru qu’elle soit là, ça ne m’enlevait rien et je trouvais cela normal qu’elle y soit. Et puis les années passant, je me suis intéressée à d’autres garçons qui n’étaient pas mes frères, eux … et tout était alors possible ! Enfin, elle est beaucoup moins « fabéguée, ta Manenne » !

Le jour de mon anniversaire, j’attendais, frémissante, que quelqu’un me le souhaite : cette attention-là était mon bonheur, elle me donnait de la consistance, elle me permettait d’exister. La plupart du temps, même Maman l’oubliait. Une fois, j’avais fait un grand ménage dans la cuisine (lavé la vaisselle, balayé et passé la serpillière -et on sait comme c’était dur sur le carrelage rouge de l’ancienne maison – J’avais bien rangé les chaises et j’attendais que Maman revienne pour manger le midi et que, surprise de voir sa maison si propre et bien arrangée, elle s’aperçoive que c’était moi qui avait fait ça et que justement, tiens, c’était mon anniversaire ! Ah, qu’elle allait m’aimer de lui avoir fait plaisir ! Qu’elle allait m’aimer vu que j’en avais tellement envie et besoin ! Qu’elle allait trouver que j’étais gentille et que je méritais qu’elle me prenne dans ses bras et m’embrasse ! Oui, oui… Elle avait bien vu que j’avais fait le ménage, ça ne l’avait pas étonnée (je n’avais quand même que 5 ans, ce n’est pas si grand pour passer la serpillière) et elle avait complètement oublié mon anniversaire ! Déception, oui sûrement, frustration oui, j’ai mis longtemps à m’y habituer.

Quand les parents n’étaient pas là, j’adorais l’ambiance à la maison. Pierre jouait du piano avec François et Jean-Marie de la guitare et tout ce joli monde chantait les mérites du baiser-coque ou « le pinson, c’est mon bonheur, c’est l’oiseau que je préfère, le pinson c’est mon bonheur, c’est lui qui fait battre mon cœur… » L’hymne familial était quand même « Ah, les rats d’égouts… » que tout le monde braillait en choeur et à tue-tête. Qu’est-ce qu’on se marrait quand ils nous lâchaient la grappe, les parents. Et les courses en patin à roulettes dans la maison ? Ça, on n’avait absolument pas le droit et les rayures noires sur le carrelage dénonçaient les garnements qui avait fait la course autour de la table de la cuisine et de la salle à manger. Il y a eu quelques engueulades en retour ! Le chahut avec les frères, j’adorais ça, même si je n’avais pas le droit d’y participer (trop petite!). Et les batailles rangées de boulettes au lance-pierres ? Quel chantier ! Que c’était bon, les désobéissances de cette époque : je parle de celles qui ont précédé la maladie du père, parce que, après, on a eu fini de rigoler. En tout cas, pour ce qui me concerne, ses difficultés ont bâché quasi-définitivement ma joie de vivre de petite fille. Et tout à coup, je n’étais plus ni petite, ni chouchoutte, mais exaspérante à sucer tout le temps mon pouce, bonne à recevoir les coups de casquette qui ne me manquaient pas les joues, corvéable à souhait, terrorisée par ce que je voyais les grands subir, ratatinée dans un coin pour ne pas être exposée aux douches froides ou poursuites de ceintures, ni surtout, à manger la soupe à la « Popol ». Il ne faisait pas bon résister ou se rebeller, ils allaient les mater, les rebelles.

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4 réponses à Cé cé cé célimène… euh… c’est Minelle !

  1. mariejo dit :

    Un véritable plaisir à lire, à relire tranquillement et en appréciant chaque phrase… Une belle histoire, la nôtre, avec toutes ses larmes et ses rires!

  2. Michel dit :

    Des souvenirs, j’en n’ai pas beaucoup, en tout cas pas qui me viennent facilement.
    Je suis obligé de faire des efforts pour trouver des choses agréables.
    On a appris à ne pas pleurer, j’ai un peu garder l’habitude.

    • mariejo dit :

      C’est une bien mauvaise habitude. Il FAUT pleurer. Tiens, hier, je suis allée voir une pièce où jouait Imran. Une histoire de bonnes femmes qui m’a beaucoup remuée. Eh bien, j’ai abondamment pleuré et cela libère de toute cette colère qu’on a emmagasinée pendant des décennies…

  3. Anne-Pascale dit :

    Que dire ? Là, j’apprends ma naissance. Qui n’a pas laissé de trace indélébile. Les interactions entre nous ne datent pas de cette époque. Mes souvenirs de liens avec toi sont surtout à l’âge de mon adolescence et de ta jeunesse. De l’enfance, je n’ai pas d’images vraiment…
    Ici, c’est vraiment toi qui parles, et c’est bien, ça permet de comprendre aussi, cette place ou non-place qui fut la tienne.
    Quelques souvenirs, des douches froides ou des coups de ceintures, même si je n’en étais pas destinataire. Oui, c’était terrorisant…

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