Faire l’article. Familial

Comme Jean Cocteau précisait qu’ »écrire est un acte d’amour. S’il ne l’est pas, il n’est qu’écriture », je me risque ce jour à écrire. Oui, oui,  c’est aussi une prise de risque que d’écrire parce que ça déplume, ça décoiffe, ça dénude, ça fixe aussi, ça brouille ou ça précise, enfin ça produit un effet. Voire des effets. J’espère bien les voir, ces effets ou au moins les ressentir.

Par quoi démarrer ?

Des souvenirs. Ben oui, ça aussi, c’est commun, mais des fois, c’est tellement présent qu’au quotidien, ce ne sont pas des souvenirs mais des traits, des traces, des pensées, des émotions qui me traversent.

A Claire G., à qui je n’ose pas conseiller la lecture des « confessions d’une radine » de Catherine CUSSET ni sa « haine de la famille », dédiée à « une » Claire, justement, dont le premier personnage – la mère de famille – se prénomme Elvire (mon pseudo depuis petite) mais qui m’a tellement plu qu’après des mois, le souvenir me tient chaud aux yeux. Moi, qui, pendant des mois, n’arrive pas à lire de littérature, parce qu’incapable de me concentrer, de fixer les lignes afin qu’elles atteignent la comprenette, ai dévoré ces deux titres.

A Minelle, qui m’a écrit une lettre quand, en seconde, à Dessaignes, je ne rêvais que de faire le mur, d’abandonner les études, le lycée, d’aller gagner ma vie pour être indépendante, m’a convaincue que la liberté ne s’acquière qu’à force d’efforts et d’études…

A Michel, qui du haut de ses 25 ans, m’a fait apprécier la vie en commun, celle qu’on ne vit qu’une fois, quand on n’a juste qu’à sentir la vie passer, les barbecues de sardines, les cheveux au vent, les oreilles à laisser pousser au soleil, les yeux aux cieux et en étoiles, le ventre à fleur de peau ;

A Marie-Jo, mon modèle de femme, de fille, de féminin. Ses luttes de tous les instants, une confiance en soi que je n’ai jamais vue ailleurs, de la joie qui enthousiasme, des fossettes charmeuses, des yeux rieurs, des démêlages de cheveux longs avec des peignes en corne, pour éviter l’électricité statique aux queue de cheval, des tenues de combat-boulot. L’aventure aussi de l’étranger, de l’Autre ;

A Paul, qui m’avait effrayée, toute môme, sans le faire exprès, par une crise d’épilepsie où l’entendre taper dans la porte ne m’avait fait supposer qu’il n’entretenait sa « carré » qu’en passant des coups de balai seulement sur la porte ;

A Pierre, qui m’a fait embaucher par son unique employeur, la BeuNeuPeu,  avec un pull rayé multicolore flou, tricoté main, un ciré jaune de marin, des sabots de bois authentiques, avec de la paille dedans. Quel courage !

A Jean-Marie, qui nous (Claire et moi) a appris les sons de « We shall overcome » de Joan Baez pour chanter au mariage de Marie-Noelle et Dédé Marseault, le 17 avril 1971 ou 1972, dans la grande salle du Château de Candé, et nous avait aussi bien préparées à rigoler pour chanter Patrick Topaloff  qui, ayant bien mangé, bien bu se retrouvait, ventre bien tendu, à remercier « Petit Jésus ». Etait-ce l’initiation initiatique au communisme ? 

A François qui m’a emmenée dans les bals des samedis soirs. J’y faisais trembler les lumières. Que j’étais contente de vivre la nuit, de bouger, de me mesurer aux travaux de force comme aux tentatives d’intégration au groupe de musicos. L’ambiance virile et joyeuse allégeait mon quotidien morne de lycéenne et l’avenir sombre que je dessinais…

Aux deux autres membres de la famille, morts. Feu le père, feue la mère : les parents. Faire l’article, le premier ; le tour de leur famille. D’abord, je m’occupe des vivants : un mot pour chacun, chacune. Dans l’ordre déchronologique. Parce que tout ça n’est qu’un premier pas. A investir ? Hum. Le risque est là. Toujours là. Je ne le mesure pas. Qu’à cela ne tienne.

Au plaisir. D’écrire.

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3 réponses à Faire l’article. Familial

  1. minelle dit :

    A la tienne ! au bonheur d’écrire et de partager ces beaux mots de souvenirs et d’émotions… je savais bien que ça valait la peine d’attendre !
    Une perle… ah que j’aime découvrir la beauté de ton écriture. Merci ! je t’envoie toute ma joie de pouvoir partager cela… Bienvenue au club des vivants et des racontants

  2. mariejo dit :

    Et mes yeux se sont encore embués de larmes, de joie. Quel immense plaisir de t’accueillir!

  3. François dit :

    D’accord avec Cocteau pour le rôle des mots, surtout lorsqu’ils sont écrits.
    Je crois en leur pouvoir de conciliation.
    « Je fais un rêve » : que les liens familiaux qui, qu’on le veuille ou non, nous unissent tous se resserrent. Même dans les (plutôt rares) occasions que nous nous donnons de nous retrouver.

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