Amoureuse

Aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours été amoureuse. Vous savez, ce sentiment qui vous fait trembler d’appréhension de n’être pas vue, comprise, aimée. Ce sentiment qui vous ferait donner tout ce que vous possédez pour rendre l’autre heureux. Enfin, ça, c’est ce qu’on se dit. Parce que, en vrai, être amoureux, cela contient en même temps une autre version : on compte sur la reconnaissance de l’être qu’on a choisi d’aimer, on  attend un signe, qu’il vous donne quelque chose : une caresse, un baiser, des mots doux, de la tendresse, une expression de l’amour quoi !

Alors donc, être amoureuse m’était un état naturel, jusque vers le collège. Je me souviens comme j’étais interloquée quand certaines copines m’ont dit qu’elles n’avaient pas d’amoureux. Comment était-ce possible de n’être pas amoureux ? De n’avoir personne à chérir dans le secret de son cœur, personne dont on aurait espéré la venue, la rencontre ? Quelqu’un qui vous manque quand vous n’avez aucune possibilité de communiquer avec lui ? Je trouvais très étrange qu’on puisse vivre sans cela. Pour moi, cela remplissait et justifiait la totalité de mon existence.

Appelons-le O. Toute ma famille le connaît. Lui, ne se reconnaîtra pas dans ces lignes car il ne me fréquente pas. Ainsi O. remplissait ma vie depuis mon plus jeune âge : on avait la permission de jouer chez lui (aux billes et aux petites voitures dans un circuit en sable) parfois. On se voyait à la messe, le dimanche et on échangeait quelques mots à la sortie de l’église. Une fois, on s’était éclipsés et il m’avait emmenée visiter la maison que ses parents faisaient construire. Quel bonheur pour moi, qu’il me fasse l’honneur de visiter sa maison ! Et quelle merveille que ces vitres colorées, comme un vitrail sur une porte intérieure ! Il suffisait de très peu de choses pour nourrir mon sentiment amoureux : ainsi de cette visite et de quelques rencontres loin du regard des adultes. Car les adultes salissaient tout : un jour que je sonnais à l’entrée pour jouer avec lui, la jeune femme qui faisait le ménage chez ses parents m’a fait entrer et a crié, en rigolant : «  O. voilà ta petite amoureuse ! » Je n’ai plus osé, ensuite, aller sonner chez lui, bien trop gênée qu’on m’ait découverte et qu’on ait crié mon secret. Les années passaient et on ne jouait plus jamais ensemble. Il n’allait pas dans la même école que moi et on s’est perdus de vue, petit à petit.

Et puis, un jour, j’ai rencontré un autre garçon qui, lui, s’est intéressé à la jeune fille que je suis devenue entre temps. J’avais 15 ans, il m’a prise dans ses bras pour danser, dans une boum. Mon cœur s’est embrasé… Feu de paille : une belle lumière, vive et brève. Elle a éclipsé O. et son absence a achevé mon amour, mort d’inanition en quelque sorte !

J’ai continué à grandir. De loin en loin, je croisais O. : il a eu son permis de conduire et une belle 2CV orange. Puis il a travaillé pour un journal local puis il est parti un peu plus loin. Je l’ai vu, une ultime fois, venu acheter de l’essence à la station à Candé, je lui ai présenté Vincent qui avait quelques mois, il m’a présenté sa femme qui attendait leur second enfant. Quelques mots échangés, un sourire et les regards qui se tournent vers ailleurs que nous. J’ai rencontré et aimé d’autres garçons puis un seul homme : je croyais que je l’aimerais jusqu’à la fin de ma vie. C’était sans compter qu’il pourrait ne plus m’aimer et qu’un jour, cet amour-là pouvait lui aussi mourir d’inanition. Ce qui est arrivé.

Presque 30 ans après cette dernière rencontre avec O., voilà que j’entends parler de lui. Comme une bouteille à la mer, j’envoie un mot à une adresse mail que je découvre via son travail. Et, surprise ! il me répond. Nous échangeons quelques courriers où nous racontons notre vie et nous rappelons le passé : nous mettons les nouvelles à jour quoi, en toute simplicité. Puis nous parlons de notre vie actuelle et entrons un peu dans l’épaisseur des choses qui nous habitent, chacun. Nous évoquons les choses qui nous touchent et en venons naturellement à envisager de nous revoir. Il part en vacances, promettant, à son retour, de me donner de ses nouvelles. Il m’écrit une fois puis silence… Ai-je écrit quelque chose que je n’aurais pas du ? Je finis par lui demander : pas de réponse. Quelque temps plus tard, je lui envoie juste cela : « remarque, tu as raison… si on avait eu quelque chose à partager, depuis toutes ces années, on se serait trouvés… J’espère qu’il ne t’est rien arrivé de grave et que ton silence est seulement justifié par ta volonté. Je te souhaite une bonne vie » et voici sa réponse : «oui, O. »

Point final ! C’est tout de même un peu ce que j’appelle un rateau ! Je ne saurai sans doute jamais ce qui est arrivé et j’en garde une certaine nostalgie. C’était moins triste d’imaginer qu’il aurait mené une bonne vie pleine de bonnes heures mais ça a été un vrai moment de joie de le retrouver, même brièvement.

Je ne suis plus amoureuse. Ca me fait drôle, maintenant, de ne pas être amoureuse : j’ai remarqué que cela ne me manque pas. J’ai plutôt le sentiment que ça fait du bien quand ça s’arrête ! En même temps, ma vie s’est enrichie d’une multitude de possibilités d’amour, d’amitié, de tendresse. Mon cœur n’est pas sec, loin de là mais mon existence ne tient plus au fil du sentiment amoureux, il n’y a plus de dépendance amoureuse. Il y a seulement de l’amour qui rayonne et éclaire ma vie et qui peut se partager avec le genre humain.

Sûrement, St Valentin ne trouverait rien à y redire !

A Mer, le 14 février 2012

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Une réponse à Amoureuse

  1. martine dit :

    si tous les amours de nos vies pouvaient se transformer durablement en amitié, respect
    et tendresse la vie serait belle.

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